RÉFLEXIONS SUR LA GÉNÉTIQUE DU CHIEN DE RACE
ET LE NÉCESSAIRE MAINTIEN D'UNE VARIABILITÉ GÉNÉTIQUE (suite)
LES RACES A TRÈS FAIBLES EFFECTIFS : QUE FAIRE POUR ÉVITER LEUR DISPARITION ?
Chez les animaux de ferme, une sensibilisation aux risques de disparition de nombreuses races à faibles effectifs s'est faite jour au plan international, et des mesures de sauvegarde, plus ou moins efficaces selon les pays et les régions, ont été mises en œuvre. Il s'agit là d'un aspect de la préservation de la bio-diversité, si fortement mise à mal ces dernières décennies. Le Chien paraît à son tour gagné par ce souci patrimonial : on ne peut que s'en réjouir.
Trois thèmes méritent d'être abordés dans cette rubrique : s'assurer que les populations qui disparaissent sont bien originales, s'interroger sur les causes de leur disparition, mettre en œuvre des mesures de gestion génétique adaptées.
S'assurer de la réalité des pertes génétiques
D'abord, il y a lieu de se demander si les races qui tendent à disparaître étaient de véritables races, auquel cas il y a effectivement une perte génétique, ou non. On ne peut s'empêcher, à l'Ecole vétérinaire de Nantes, de prendre l'exemple du Levesque, qui a été créé à 300 mètres à vol d'oiseau de cet établissement, au château de la Poterie, par les frères Donatien et Rogatien LEVESQUE, et qui a disparu avec eux. Bien qu'il ait été reconnu comme race, ce n'en était certainement pas une, mais plutôt une variété ou souche de Gascon-Saintongeois. Le Braque Dupuy n'en était probablement pas une non plus (toutefois, signalons que nous connaissons mal la question). La disparition d'une souche est certes regrettable mais ne porte pas préjudice à l'avenir de la race à laquelle elle appartient. La disparition de la souche ou, plutôt, de la lignée consanguine Laverack, n'a pas empêché le Setter anglais de devenir ce qu'il est.
Ensuite, face à une race à très faibles effectifs dont l'avenir est incertain, il faut savoir si les animaux survivants appartiennent bien à l'ancienne population. On connaît des exemples relativement récents de races qui ont été reconstituées de toutes pièces : cela n'aurait guère de sens de vouloir sauvegarder un génotype issu en réalité de croisements.
S'interroger sur les causes de la disparition de la race
Lorsqu'une race s'achemine vers sa disparition, il y a intérêt à s'intéresser aux raisons de cet état de fait, afin de pouvoir éventuellement y remédier.
Il est une situation où on ne peut pas grand'chose : celle où la race était liée à une fonction particulière, avec peu de chances de reconversion. On nous a cité récemment l'exemple du Berger de Crau, qui accompagnait les troupeaux de moutons du Sud-Est lorsqu'ils transhumaient à pied. Il en existe encore - une enquête est en cours - mais, en estive, on lui préfère maintenant d'autres races ; quant à la possibilité de reconversion pour la compagnie d'une race rustique au poil long et feutré, elle est faible. D'une façon plus générale, il est aussi des races d'utilité qui se reconvertissent mal vers la compagnie parce qu'elles ne supportent pas les nouvelles conditions de vie qui leur sont offertes ou que leur entretien (pelage, propreté etc ... ) est jugé problématique.
Dans le cas des chiens de chasse, il y a lieu parfois de faire la différence entre les désirs du chasseur lui-même, qui peut préférer un certain type de chasse et une race de chien bien adaptée à celui-ci, et l'orientation donnée par les épreuves de travail. Le problème dépasse très largement le cadre des races à faibles effectifs : il est quasiment admis que les Field-Trials, dans leur forme actuelle, ont largement favorisé les races anglaises au détriment des races continentales, dont certaines sont même allées jusqu'à s'"angliciser", officiellement ou de façon occulte. Or, on nous a toujours dit qu'il demeurait des amateurs - il y en aurait même de plus en plus - de chasse continentale ! Dans ces conditions, un important travail de réflexion est à conduire : si l'on met en avant la sauvegarde de la diversité génétique, des concours qui tendent à la réduire sont des mauvais concours et il faut donc les assouplir ou les conduire différemment. Le problème est exactement le même dans le cas des chiens de troupeaux, où il nous paraît nécessaire de concevoir des concours réservés aux chiens continentaux. Pour revenir à la chasse et aux races à très faibles effectifs, il ne faut pas oublier que, dans l'image qui est donnée de cette activité auprès du grand public, il est de plus en plus insisté sur le contact avec la nature et le plaisir d'être accompagné de son chien et de le voir travailler. Même si celui-ci appartient à une race peu "performante", on se demande bien pourquoi il faudrait inciter le maître à en changer, dès lors qu'il s'en contente et a conscience de participer à la conservation de la race de la région. L'amélioration des qualités de cette dernière, pas forcément sur le modèle dominant, est une question de sélection et de temps, dès lors que les effectifs auront suffisamment ré-augmenté pour le permettre.
On peut imaginer qu'une race voie ses effectifs fondre, parce que devenue trop problématique à élever, en raison de la fréquence élevée d'une ou plusieurs affections héréditaires, d'une réduction importante de la longévité etc ... Ce cas de figure est théorique car, s'il aurait le mérite de fournir des explications objectives à la situation de la race et d'indiquer les voies du redressement, l'expérience montre que les facteurs évoqués exercent rarement un effet dissuasif, soit par manque d'information, soit par goût du risque ou de recherche de l'exceptionnel.
Le facteur humain est souvent important en élevage. Il arrive qu'une race finisse par être oubliée à cause d'une perte de dynamisme, voire même de motivation de la part des quelques éleveurs qui lui restent fidèles. Quand les effectifs se sont raréfiés et que la présence en exposition est devenue exceptionnelle, on comprend que le monde cynophilique croie qu'elle a disparu.
Enfin, la mode peut évidemment jouer, contre laquelle il est bien difficile d'aller. Lorsqu'elle joue négativement à l'encontre d'une population qui était déjà numériquement peu importante, les conséquences peuvent en être catastrophiques.
Dans les cinq situations que nous venons d'envisager - il y en a d'autres - on sait, théoriquement au moins, sur quoi il conviendrait d'agir pour inverser la situation; la pratique est souvent plus compliquée mais au moins la voie est-elle traçée.
Il est un autre aspect dans la question de la sauvegarde des races à très faibles effectifs, celui de la manière de conduire la reproduction pour conserver suffisamment de variabilité génétique.
Gestion génétique d'une race à très faibles effectifs
Un cas de figure, déjà évoqué, n'a pas à être considéré ici: celui où une race avait effectivement disparu et a été re-créée par croisements. Pour sympathique que soit la démarche, elle n'a rien à voir avec une sauvegarde, sauf, au moins, de la mémoire de la population.
Il n'y a pas de fatalité liée à de trop faibles effectifs, pourvu que subsiste encore un peu de variabilité chez les animaux. La technique consiste à faire se reproduire le plus de mâles possibles, dans l'idéal presque tous (il faut évidemment éliminer ceux qui expriment des tares). La sélection passe au second plan et il faut donc accepter des sujets qui, en situation normale, n'auraient pas été autorisés à la reproduction. On connaît plusieurs exemples, chez les animaux de ferme, de populations insulaires qui ont fini par atteindre des effectifs importants en partant d'un stock fondateur de quelques dizaines d'animaux. Nous connaissons personnellement l'exemple du Mouton des Landes de Bretagne qui, en 15 ans, est passé de 60 à 600 têtes : dans le troupeau relictuel initial, les agneaux mâles de l'année luttaient librement les brebis avant de partir en boucherie. On dira que 60 reproducteurs constituent déjà un ensemble non négligeable, ce qui est vrai, mais il ne faut pas oublier que la prolificité de la brebis et de la chienne n'est pas la même. Il faut également savoir que les généticiens spécialisés considèrent qu'à moins de 100 têtes, une population est perdue. Ce n'est pas vrai.
Dès lors que les effectifs de la race à sauver auront suffisamment ré-augmenté, il deviendra possible de réduire progressivement le nombre de mâles reproducteurs, sans prétendre toutefois retrouver une situation normale avant longtemps, et d'exercer un minimum de sélection.
Si la variabilité résiduelle chez les animaux re-fondateurs est trop faible, le succès de l'opération, par contre, devient problématique, et le recours à la retrempe est quasiment inévitable. Il convient évidemment de la faire avec une race voisine et d'en limiter l'ampleur, de façon à "diluer" le moins possible les génotypes que l'on veut sauvegarder. Ce que l'on appelle une "retrempe demi-sang", limitée à une seule génération, doit pouvoir suffire pour ré-introduire suffisamment d'hétérozygotie.
Les banques de semence constituent un outil très intéressant. On a parfois tendance - lorsqu'il s'agit de la sauvegarde de populations - à les considérer comme un ultime recours. Elles peuvent effectivement l'être mais il y a bien entendu intérêt à anticiper et à ne pas attendre la quasi-disparition d'une race pour congeler ce qui reste de sa génétique. Le problème est que le financement ne pourra pas être trouvé du côté des éleveurs puisqu'il n'y en a pratiquement plus; la situation est donc encore plus difficile que dans le cas où il s'agit, pour une race aux effectifs "normaux", de congeler des réserves de variabilité dans l'intérêt à long terme de tous les adhérents. Pour les races à très faibles effectifs, il n'y a plus que la Société canine nationale qui puisse éventuellement faire quelque chose. Notons, sur ce point, que la Société Centrale Canine s'intéresse à cette éventualité : on ne peut que s'en réjouir.
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